Extrait: Moscou... ville singulière, ne ressemblant en rien aux autres capitales de l’Europe ; Amérique se frayant un passage à travers les antiques murailles du Kremlin ; contours géométriques du mausolée de Lénine, et, à côté, le splendide bariolage asiatique de la cathédrale Saint-Basile ; « isvostchik » au cabriolet rongé par les mites, et Hispano-Suiza dernier cri, stoppant toutes deux devant la blancheur du bâton que brandit un milicien ganté de blanc, aux yeux bridés, à la face nettement kalmouk ; vitrines garnies d’esturgeon et de caviar, et à l’autre bout de la rue la longue file de ceux qui doivent montrer leur carte pour acheter du pain... Mais à peine a-t-on ouvert la porte de l’hôtel Métropole, place Théâtrale, que déjà tout cela semble lointain, et l’on se trouve transporté d’emblée au milieu d’une confortable île européenne bien policée. L’hôtel Métropole, exclusivement destiné aux étrangers, c’est déjà l’étranger, et, tout comme à l’étranger, le tchervonetz russe n’y a pas cours.
Par un soir d’été de 1931, je m’y trouvais attablé en compagnie du célèbre metteur en scène américain, Cecil de Mill ; la conversation roulait sur ces étonnants contrastes moscovites, et, naturellement, sur le théâtre russe actuel.
— Votre théâtre, me dit de Mill, est certainement à l’heure qu’il est le plus intéressant qui soit, en Europe comme en Amérique. Vos acteurs et vos metteurs en scène sont sans contredit les premiers du monde. Mais...
Laissons pour le moment ce « mais » dans la coulisse de cet article. Si j’évoque en ce moment ma rencontre avec le metteur en scène américain en citant son opinion sur le théâtre russe, c’est pour éviter de me trouver dans la situation gênante de quelqu’un qui vante son propre bien. J’aurais d’ailleurs fort probablement pu citer avec non moins de succès n’importe lequel des lecteurs de cet article : quel est donc, parmi l’élite cultivée de l’Europe, celui qui ne connaît pas le théâtre russe, ne serait-ce que par ouï-dire, ou par la lecture d’articles enthousiastes à son sujet ?
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Extrait: Moscou... ville singulière, ne ressemblant en rien aux autres capitales de l’Europe ; Amérique se frayant un passage à travers les antiques murailles du Kremlin ; contours géométriques du mausolée de Lénine, et, à côté, le splendide bariolage asiatique de la cathédrale Saint-Basile ; « isvostchik » au cabriolet rongé par les mites, et Hispano-Suiza dernier cri, stoppant toutes deux devant la blancheur du bâton que brandit un milicien ganté de blanc, aux yeux bridés, à la face nettement kalmouk ; vitrines garnies d’esturgeon et de caviar, et à l’autre bout de la rue la longue file de ceux qui doivent montrer leur carte pour acheter du pain... Mais à peine a-t-on ouvert la porte de l’hôtel Métropole, place Théâtrale, que déjà tout cela semble lointain, et l’on se trouve transporté d’emblée au milieu d’une confortable île européenne bien policée. L’hôtel Métropole, exclusivement destiné aux étrangers, c’est déjà l’étranger, et, tout comme à l’étranger, le tchervonetz russe n’y a pas cours.
Par un soir d’été de 1931, je m’y trouvais attablé en compagnie du célèbre metteur en scène américain, Cecil de Mill ; la conversation roulait sur ces étonnants contrastes moscovites, et, naturellement, sur le théâtre russe actuel.
— Votre théâtre, me dit de Mill, est certainement à l’heure qu’il est le plus intéressant qui soit, en Europe comme en Amérique. Vos acteurs et vos metteurs en scène sont sans contredit les premiers du monde. Mais...
Laissons pour le moment ce « mais » dans la coulisse de cet article. Si j’évoque en ce moment ma rencontre avec le metteur en scène américain en citant son opinion sur le théâtre russe, c’est pour éviter de me trouver dans la situation gênante de quelqu’un qui vante son propre bien. J’aurais d’ailleurs fort probablement pu citer avec non moins de succès n’importe lequel des lecteurs de cet article : quel est donc, parmi l’élite cultivée de l’Europe, celui qui ne connaît pas le théâtre russe, ne serait-ce que par ouï-dire, ou par la lecture d’articles enthousiastes à son sujet ?