Extrait: I. UNE JOURNÉE DE MALHEUR. Tioma, jeune garçon de huit
ans, se tenait penché sur une fleur brisée et réfléchissait avec
terreur à sa situation sans issue. Quelques minutes auparavant, il a
quitté son lit, il a fait sa prière, il a pris son thé, sans oublier les
deux tar-tines de pain au beurre qu'il a croquées avec appétit, bref,
après avoir rempli consciencieusement ses devoirs, il est sorti sur la
terrasse du jardin dans un état de gaîté et d'insouciance complètes. Il
faisait si bon dans le jar-din ! Il suivait les sentiers soigneusement
entretenus, en res-pirant la fraîcheur d'une matinée d'été et jetait
autour de lui des regards enchantés. Et tout à coup... son c?ur s'était
mis à battre avec force, éperdu de joie et de ravissement... La fleur
tant aimée de papa, la fleur objet de tant de soin, vient enfin de
s'épanouir ! Hier encore, papa la regardait avec atten-tion et disait
qu'elle ne serait certainement pas épanouie avant une semaine. Et
qu'elle est merveilleuse, et qu'elle est superbe cette fleur ! Jamais
évidemment personne n'a contemplé une fleur pareille ! Père a dit que le
jour où Herr Gotlieb (le jardinier en chef du jardin botanique) la
verra, il en mourra d'envie. Mais voici bien le plus heu-reux de
l'aventure : c'est lui, Tioma, qui a vu le premier son épanouissement.
Il va se précipiter dans la salle à manger et à pleins poumons il criera
: « la fleur double est épanouie ! » Papa laissera là son thé, et sa
grande pipe à la main, dans son uniforme militaire, il se hâtera de
sortir vers le jardin. Lui, Tioma, le précédera en courant et se
retour-nera sans cesse pour ne rien perdre de la joie de papa. Sans
aucun doute, papa ira tout de suite chez Herr Gotlieb ; peut-être même
donnera-t-il l'ordre d'atteler Gniedko, qu'on vient d'amener de la
campagne. Eremey (le cocher et en même temps le concierge), petit
russien de grande taille, borgne, très bon et très pares-seux, ? Eremey
dit que Gniedko court si vite qu'il ne pourrait trouver son pareil en
ville. Eremey parle néces-sairement en connaissance de cause : chaque
jour, il part pour l'abreuvoir à cheval sur Gniedko. Et aujourd'hui pour
la première fois, on va atteler Gniedko. Gniedko ira vite, oh combien
vite ! Tout le monde essaiera de le rattraper, mais plus de Gniedko, sa
trace même aura disparu. Et si tout à coup papa se décidait à prendre
Tioma avec lui ? Quel bonheur ! Des transports de joie remplis-sent le
petit c?ur de Tioma. À la pensée de toutes les merveilles que peut
enfanter cette fleur si miraculeuse-ment épanouie, Tioma sent s'éveiller
en lui une ten-dresse inexprimable.
Description:
Extrait: I. UNE JOURNÉE DE MALHEUR. Tioma, jeune garçon de huit ans, se tenait penché sur une fleur brisée et réfléchissait avec terreur à sa situation sans issue. Quelques minutes auparavant, il a quitté son lit, il a fait sa prière, il a pris son thé, sans oublier les deux tar-tines de pain au beurre qu'il a croquées avec appétit, bref, après avoir rempli consciencieusement ses devoirs, il est sorti sur la terrasse du jardin dans un état de gaîté et d'insouciance complètes. Il faisait si bon dans le jar-din ! Il suivait les sentiers soigneusement entretenus, en res-pirant la fraîcheur d'une matinée d'été et jetait autour de lui des regards enchantés. Et tout à coup... son c?ur s'était mis à battre avec force, éperdu de joie et de ravissement... La fleur tant aimée de papa, la fleur objet de tant de soin, vient enfin de s'épanouir ! Hier encore, papa la regardait avec atten-tion et disait qu'elle ne serait certainement pas épanouie avant une semaine. Et qu'elle est merveilleuse, et qu'elle est superbe cette fleur ! Jamais évidemment personne n'a contemplé une fleur pareille ! Père a dit que le jour où Herr Gotlieb (le jardinier en chef du jardin botanique) la verra, il en mourra d'envie. Mais voici bien le plus heu-reux de l'aventure : c'est lui, Tioma, qui a vu le premier son épanouissement. Il va se précipiter dans la salle à manger et à pleins poumons il criera : « la fleur double est épanouie ! » Papa laissera là son thé, et sa grande pipe à la main, dans son uniforme militaire, il se hâtera de sortir vers le jardin. Lui, Tioma, le précédera en courant et se retour-nera sans cesse pour ne rien perdre de la joie de papa. Sans aucun doute, papa ira tout de suite chez Herr Gotlieb ; peut-être même donnera-t-il l'ordre d'atteler Gniedko, qu'on vient d'amener de la campagne. Eremey (le cocher et en même temps le concierge), petit russien de grande taille, borgne, très bon et très pares-seux, ? Eremey dit que Gniedko court si vite qu'il ne pourrait trouver son pareil en ville. Eremey parle néces-sairement en connaissance de cause : chaque jour, il part pour l'abreuvoir à cheval sur Gniedko. Et aujourd'hui pour la première fois, on va atteler Gniedko. Gniedko ira vite, oh combien vite ! Tout le monde essaiera de le rattraper, mais plus de Gniedko, sa trace même aura disparu. Et si tout à coup papa se décidait à prendre Tioma avec lui ? Quel bonheur ! Des transports de joie remplis-sent le petit c?ur de Tioma. À la pensée de toutes les merveilles que peut enfanter cette fleur si miraculeuse-ment épanouie, Tioma sent s'éveiller en lui une ten-dresse inexprimable.