Le roman s'ouvre par une ample et vaste évocation d'un jour d'émeute, à Paris. Cela aurait pu déboucher sur une révolution. Ce ne fut pas le cas... «Un jour de feu, comme si la ville avait toujours été à nous. Un seul jour de feu, pour un reste de vie tiède.»
Des années après, quatre amis, qui en furent, racontent séparément - il s'agit de quatre monologues -, le temps d'un après-midi solitaire, ce qu'ils sont devenus. Mais, ne nous y trompons pas, c'est bien à eux-même qu'ils se racontent, enfin, sans fard ni esquive.
Et puis, inattendues, les retrouvailles : ensemble ils occupent une nuit entière un lieu comme suspendu hors du temps et de l'espace, pour voir ce qu'il reste des années de fièvre, de l'amitié insurgée, de l'envie d'en rire. Et à l'aube ils retrouvent un fantôme entre la rosée, la fumée, et les larmes d'hier.
Les trois parties de ce roman se situent dans trois temps apparemment sans rapport, sinon le fil rongé de l'amitié et la politique comme persévérance d'un désir - pour rester à l'abri du déclin du monde.
Trois temps au fil desquels se trouvent égrenés tous les ingrédients d'une époque, mais aussi, parmi eux, dans leurs interstices, les seuls moyens de s'en échapper.
François Cusset a publié depuis dix ans plusieurs essais dans le champ de l'histoire intellectuelle et politique contemporaine chez Actes Sud, La Découverte et aux PUF. A l'abri du déclin du monde est son premier roman.
**
Extrait
Tous à la Madeleine !
Le cri de ralliement a retenti juste devant la gare Saint-Lazare, émis à tue-tête mais distinctement par une voix éraillée, du fond d'une piétaille compacte, la plupart debout, quelques-uns assis, cigarettes et hypothèses passant entre les lèvres. Il a été relayé presque aussitôt par les porte-voix, les haut-parleurs ficelés sur des bicyclettes, les rabatteurs en queue de cortège le long des rues de Rome et d'Amsterdam. On était un petit groupe, rue de Châteaudun, posté devant un supermarché à l'enseigne du citadin malin, le magasin fermé pour une fois, en catastrophe, dès avant dix-neuf heures, ses employés volatilisés. A l'avant, sous la bannière éteinte, une poignée d'entre nous s'échinait sur le cadenas retenant le rideau de fer. Le cadenas a fini par sauter, vingt bras ont levé le rideau pour laisser s'engouffrer un peuple en joie, tandis que l'alarme, pourtant largement couverte par les éclats sonores du dehors, était neutralisée en quelques secondes d'un coup de barre de fer au-dessus de l'entrée. Les plus nombreux se sont rués vers le rayon frais, d'autres vers les conserves, on était quelques-uns à courir vers l'aile des alcools, bouteilles de scotch débouchées facilement qu'on se passait de bouche en bouche pour sa gifle revigorante, son goût ambré de victoire, prénoms familiers sur l'étiquette comme ceux de cousins terreux d'Écosse et du Tennessee. Emmitouflés dans des habits sales, de rares solitaires, que personne n'avait vu arriver, procédaient avec lenteur, se demandant à haute voix où ils dormiraient ce soir, un oeil tourné vers la rue, leur dortoir envahi, puis mangeant et buvant à même le sol du magasin ou sortant d'un pas traînant, les bras chargés de boîtes et de bouteilles. Tous les autres, plus pressés, remplissaient leur sac à dos de ce qu'ils jugeaient utile pour tenir quelques heures. En dix minutes le magasin fut à sac, promu à la fonction de cantinière pour émeutiers. De retour sur le trottoir les pillards improvisés, mères de famille ou adolescents ébouriffés, se sont réparti le butin en riant, dans la complicité des états d'urgence, avec l'efficace des approvisionnements inattendus. Pour chaque prise on désignait à la cantonade les destinataires les plus appropriés, on refaisait les baluchons, on vidait et rechargeait les sacs à dos, les gibecières, les bandoulières, les cabas colorés et les plus rares baise-en-ville, en s'échangeant petits pots pour bébés contre bouteilles de soda, pain de mie contre gaufrettes, eau minérale contre canettes de bière, blague contre blague aussi, continûment, les yeux grands ouverts. Sur la chaussée on trouvait encore quelques errants solitaires, à qui les pillards tendaient au hasard un extrait de leur rapine. Pour le reste, les piétons du quartier descendus de chez eux et les insurgés de la dernière heure discutaient activement, par petits groupes, qui se dispersaient ici pour se reformer là, marée humaine parlante parcourue par un ressac inégal qui gonflait une vague ou creusait un vide en des zones à chaque fois différentes. (...)
Revue de presse
Le tout forme, au-delà des personnages et des histoires, un sublime hymne à Paris. Un des plus beaux que l'on ait lu depuis Aragon, Audiberti ou Henri Calet, la nostalgie en moins. On lit, dans les dernières pages : «Je suis l'époque. Je suis la broyeuse, la malaxeuse. La grande centrifugeuse. Je suis tout ce qui est, et le temps qui le fait être ensemble...» (Le Figaro du 6 septembre 2012)
Nuit d'émeute à Paris, et ce qui advient de quatre de ses acteurs. Le premier roman de l'essayiste François Cusset dresse le portrait d'une époque à travers quatre désenchantés...
La nuit finie, quatre compères, quatre « Fabrice à Waterloo », se retrouvent, arrêtés près du siège de Rolex, puis libérés et reconduits chez leurs parents. Leur vie continue, et tout est changé. En quoi ? C'est à cette question que se confronte le roman. Avec À l'abri du déclin du monde nous accompagnons le destin de ces jeunes, en un roman d'initiation en quatuor, depuis les espoirs de la jeunesse jusqu'au désenchantement, sans que la colère ne quitte ceux qui sont tombés dans « le piège de l'époque ». François Cusset dresse le portrait d'une génération flouée, que peut-être la littérature aidera à se libérer. (Alain Nicolas - L'Humanité du 8 novembre 2012)
Description:
Le roman s'ouvre par une ample et vaste évocation d'un jour d'émeute, à Paris. Cela aurait pu déboucher sur une révolution. Ce ne fut pas le cas... «Un jour de feu, comme si la ville avait toujours été à nous. Un seul jour de feu, pour un reste de vie tiède.»
Des années après, quatre amis, qui en furent, racontent séparément - il s'agit de quatre monologues -, le temps d'un après-midi solitaire, ce qu'ils sont devenus. Mais, ne nous y trompons pas, c'est bien à eux-même qu'ils se racontent, enfin, sans fard ni esquive.
Et puis, inattendues, les retrouvailles : ensemble ils occupent une nuit entière un lieu comme suspendu hors du temps et de l'espace, pour voir ce qu'il reste des années de fièvre, de l'amitié insurgée, de l'envie d'en rire. Et à l'aube ils retrouvent un fantôme entre la rosée, la fumée, et les larmes d'hier.
Les trois parties de ce roman se situent dans trois temps apparemment sans rapport, sinon le fil rongé de l'amitié et la politique comme persévérance d'un désir - pour rester à l'abri du déclin du monde.
Trois temps au fil desquels se trouvent égrenés tous les ingrédients d'une époque, mais aussi, parmi eux, dans leurs interstices, les seuls moyens de s'en échapper.
François Cusset a publié depuis dix ans plusieurs essais dans le champ de l'histoire intellectuelle et politique contemporaine chez Actes Sud, La Découverte et aux PUF. A l'abri du déclin du monde est son premier roman.
**
Extrait
Le cri de ralliement a retenti juste devant la gare Saint-Lazare, émis à tue-tête mais distinctement par une voix éraillée, du fond d'une piétaille compacte, la plupart debout, quelques-uns assis, cigarettes et hypothèses passant entre les lèvres. Il a été relayé presque aussitôt par les porte-voix, les haut-parleurs ficelés sur des bicyclettes, les rabatteurs en queue de cortège le long des rues de Rome et d'Amsterdam. On était un petit groupe, rue de Châteaudun, posté devant un supermarché à l'enseigne du citadin malin, le magasin fermé pour une fois, en catastrophe, dès avant dix-neuf heures, ses employés volatilisés. A l'avant, sous la bannière éteinte, une poignée d'entre nous s'échinait sur le cadenas retenant le rideau de fer. Le cadenas a fini par sauter, vingt bras ont levé le rideau pour laisser s'engouffrer un peuple en joie, tandis que l'alarme, pourtant largement couverte par les éclats sonores du dehors, était neutralisée en quelques secondes d'un coup de barre de fer au-dessus de l'entrée. Les plus nombreux se sont rués vers le rayon frais, d'autres vers les conserves, on était quelques-uns à courir vers l'aile des alcools, bouteilles de scotch débouchées facilement qu'on se passait de bouche en bouche pour sa gifle revigorante, son goût ambré de victoire, prénoms familiers sur l'étiquette comme ceux de cousins terreux d'Écosse et du Tennessee. Emmitouflés dans des habits sales, de rares solitaires, que personne n'avait vu arriver, procédaient avec lenteur, se demandant à haute voix où ils dormiraient ce soir, un oeil tourné vers la rue, leur dortoir envahi, puis mangeant et buvant à même le sol du magasin ou sortant d'un pas traînant, les bras chargés de boîtes et de bouteilles. Tous les autres, plus pressés, remplissaient leur sac à dos de ce qu'ils jugeaient utile pour tenir quelques heures. En dix minutes le magasin fut à sac, promu à la fonction de cantinière pour émeutiers. De retour sur le trottoir les pillards improvisés, mères de famille ou adolescents ébouriffés, se sont réparti le butin en riant, dans la complicité des états d'urgence, avec l'efficace des approvisionnements inattendus. Pour chaque prise on désignait à la cantonade les destinataires les plus appropriés, on refaisait les baluchons, on vidait et rechargeait les sacs à dos, les gibecières, les bandoulières, les cabas colorés et les plus rares baise-en-ville, en s'échangeant petits pots pour bébés contre bouteilles de soda, pain de mie contre gaufrettes, eau minérale contre canettes de bière, blague contre blague aussi, continûment, les yeux grands ouverts. Sur la chaussée on trouvait encore quelques errants solitaires, à qui les pillards tendaient au hasard un extrait de leur rapine. Pour le reste, les piétons du quartier descendus de chez eux et les insurgés de la dernière heure discutaient activement, par petits groupes, qui se dispersaient ici pour se reformer là, marée humaine parlante parcourue par un ressac inégal qui gonflait une vague ou creusait un vide en des zones à chaque fois différentes. (...)
Revue de presse
Le tout forme, au-delà des personnages et des histoires, un sublime hymne à Paris. Un des plus beaux que l'on ait lu depuis Aragon, Audiberti ou Henri Calet, la nostalgie en moins. On lit, dans les dernières pages : «Je suis l'époque. Je suis la broyeuse, la malaxeuse. La grande centrifugeuse. Je suis tout ce qui est, et le temps qui le fait être ensemble...» (Le Figaro du 6 septembre 2012)
Nuit d'émeute à Paris, et ce qui advient de quatre de ses acteurs. Le premier roman de l'essayiste François Cusset dresse le portrait d'une époque à travers quatre désenchantés...
La nuit finie, quatre compères, quatre « Fabrice à Waterloo », se retrouvent, arrêtés près du siège de Rolex, puis libérés et reconduits chez leurs parents. Leur vie continue, et tout est changé. En quoi ? C'est à cette question que se confronte le roman. Avec À l'abri du déclin du monde nous accompagnons le destin de ces jeunes, en un roman d'initiation en quatuor, depuis les espoirs de la jeunesse jusqu'au désenchantement, sans que la colère ne quitte ceux qui sont tombés dans « le piège de l'époque ». François Cusset dresse le portrait d'une génération flouée, que peut-être la littérature aidera à se libérer. (Alain Nicolas - L'Humanité du 8 novembre 2012)