Extrait: Je chevauchais avec un pandour. C'était l'été. Il faisait
terriblement chaud. Un soleil affolant dardait d'aplomb et les blés
bouillaient sous ses rayons torrides. Les arbres au feuillage desséché
semblaient des malades mourant de soif et les animaux se couchaient
alanguis dans les champs, cherchant un abri à l'ombre de quelque pommier
isolé. Aucun oiseau ne bougeait. La nature entière était abattue comme
un être qui a perdu conscience. Nous nous sentions nous-mêmes
apathiques, lourds, incapables de souffle, le cerveau vidé,
aride.J'arrivai harassé au village où je réglai en hâte l'affaire qui
m'avait amené, afin de songer uniquement au repos.L'auberge du lieu
était misérable et affreusement sale, sentant le poisson et
l'eau-de-vie.Aussi on juge de ma joie quand Ugritch m'invita à passer la
nuit chez lui. Ce même jour, Ziwko, fils de son frère, était rentré du
service en congé définitif. La maison était grande, les hôtes riches,
avenants, et l'hospitalité fut cordiale. Ce qui me plaisait surtout,
c'étaient les yeux de la nièce d'Ugritch. Une belle fille, pleine de
vie, fraîche et gaillarde, dont la ferme démarche n'arrivait cependant à
faire vibrer ni le parquet ni les vitres. Elle allait et venait, vive
et légère, pleine d'aisance en ses mouvements.On soupa sous le noyer.
Elle servit sans un mot pendant toute la soirée. Puis elle me guida dans
l'habitation. Aux deux côtés d'une pièce centrale où était l'âtre, deux
petites chambres s'ouvraient, dont l'une me fut attribuée. Son
ameublement était un lit de bois, avec du foin tout frais, deux draps et
deux oreillers ; à côté, une table et, devant la fenêtre, un banc. Un
sabre turc avec son ceinturon de cuir usé et déchiré et deux pistolets à
batterie de silex pendaient au mur. C'était tout.La coutume serbe
voulait que notre charmante servante improvisée me tirât mes bottes
boueuses ; mais je ne voulus pas y consentir et j'appelai le
pandour.Elle regardait mes chaussures et je la regardais. Devais-je la
prier de s'asseoir, car elle restait debout ? Je voulais lui adresser la
parole. Mais que lui dire ?? As-tu soupé, Stana ? (J'avais entendu
qu'on l'appelait Stana).
Description:
Extrait: Je chevauchais avec un pandour. C'était l'été. Il faisait terriblement chaud. Un soleil affolant dardait d'aplomb et les blés bouillaient sous ses rayons torrides. Les arbres au feuillage desséché semblaient des malades mourant de soif et les animaux se couchaient alanguis dans les champs, cherchant un abri à l'ombre de quelque pommier isolé. Aucun oiseau ne bougeait. La nature entière était abattue comme un être qui a perdu conscience. Nous nous sentions nous-mêmes apathiques, lourds, incapables de souffle, le cerveau vidé, aride.J'arrivai harassé au village où je réglai en hâte l'affaire qui m'avait amené, afin de songer uniquement au repos.L'auberge du lieu était misérable et affreusement sale, sentant le poisson et l'eau-de-vie.Aussi on juge de ma joie quand Ugritch m'invita à passer la nuit chez lui. Ce même jour, Ziwko, fils de son frère, était rentré du service en congé définitif. La maison était grande, les hôtes riches, avenants, et l'hospitalité fut cordiale. Ce qui me plaisait surtout, c'étaient les yeux de la nièce d'Ugritch. Une belle fille, pleine de vie, fraîche et gaillarde, dont la ferme démarche n'arrivait cependant à faire vibrer ni le parquet ni les vitres. Elle allait et venait, vive et légère, pleine d'aisance en ses mouvements.On soupa sous le noyer. Elle servit sans un mot pendant toute la soirée. Puis elle me guida dans l'habitation. Aux deux côtés d'une pièce centrale où était l'âtre, deux petites chambres s'ouvraient, dont l'une me fut attribuée. Son ameublement était un lit de bois, avec du foin tout frais, deux draps et deux oreillers ; à côté, une table et, devant la fenêtre, un banc. Un sabre turc avec son ceinturon de cuir usé et déchiré et deux pistolets à batterie de silex pendaient au mur. C'était tout.La coutume serbe voulait que notre charmante servante improvisée me tirât mes bottes boueuses ; mais je ne voulus pas y consentir et j'appelai le pandour.Elle regardait mes chaussures et je la regardais. Devais-je la prier de s'asseoir, car elle restait debout ? Je voulais lui adresser la parole. Mais que lui dire ?? As-tu soupé, Stana ? (J'avais entendu qu'on l'appelait Stana).